Août 1999 - Une histoire...née du hasard...
Tout commence un jour de février 1999.
Inspiré par le talent exceptionnel de Michel Petrucciani, célèbre pianiste de jazz et cherchant à organiser un concert de musiciens handicapés, les circonstances me conduisent à franchir les portes d'un foyer de vie à Evreux dont, m'avait on dit, l'animatrice d'un groupe de chant pourrais m'aider dans ma réflexion.
Rendez-vous pris, j'arrivais dans une salle du sous-sol. Après avoir poussé la porte, une trentaine de personnes en situation de handicap étaient rassemblées autour d'elle qui tentait, en donnant de la voix, d'entraîner son auditoire avec à la main, un petit livre de chant.
Après m'être présenté, celle-ci, n'ayant pas grand chose à m'apporter concernant mon projet, me propose de faire chanter le groupe.
Quelle fût ma surprise, n'ayant jamais été chef de choeur et alors que rien ne laissait penser que j'étais moi-même choriste au sein d'un ensemble vocal!
Constitués principalement de personnes en fauteuil roulant avec des handicaps très divers: IMC, myopathie, hémiplégies, traumas crâniens, sclérose en plaques..., les membres du groupe chantaient comme ils pouvaient avec des voix souvent éteintes, étouffées, parfois entravées par le handicap. On devinait des traitements médicamenteux plus ou moins conséquents, des corps déformées, empêchés où l'énergie semblait chargée de lourdeurs physiques et psychiques.
Mais bon sang, que faisais-je là ? Me dis-je ! Et pourtant...Et pourtant....
Je n'avais nullement l'intention de donner suite à cette proposition. Pour y couper cours, je leur proposais de me chanter une chanson de leur choix, avec l'intention secrète de les "planter là", m'en allant poursuivre ma quête ailleurs.
Ils me chantèrent "Tous les garçons et les filles" de Françoise Hardy. Les voix étaient dissonnantes, ils chantaient faux, les tempis "en vrac" et devant ce fracas de sons informes j'aurais dû alors les remercier et tourner les talons pour retourner à mes occupations.
Ce n'est pas ce qui s'est passé. Car derrière ce brouhaha, je percevais quelque chose d'indicible.
Il s'émanait des chanteurs d'un jour, du frétillement dans les yeux, des éclats de vie et d'espérance, une sorte d'exication et d'envie d'aller plus loin. J'entendais du fond des êtres, un frémissement de joie et de bonheur sur les visages.
Et, de leurs regards tendus vers moi, je comprenais comme un désir silencieux de poursuivre ensemble une aventure naissante et sortie du hasard.
C'était un mercredi du mois de février 1999. Je rentrais chez moi. Je savais que je reviendrai.
Création de la 1ère chorale... A chacun sa place.
Après cette rencontre avec le groupe de chant du foyer, je décidais de poursuivre "l'expérience".
Aussi, le mercredi suivant, m'inspirant de mon propre vécu de choriste et de ma relation personnelle avec le handicap comme papa de ma fille trisomique et autiste, je proposais au groupe de créer une chorale.
Je commençais par des auditions individuelles pour entendre chacune de leur voix et leur proposer de constituer, selon leur tessiture, les "pupîtres".
Avec l'émotion de l'exercice pas forcément facile pour beaucoup d'entr'eux, je leur proposais de me chanter quelques notes: do, mi, sol, do en faisant la, la, la.... La situation provoquait beaucoup d'émois chez les chanteurs, mais bon gré mal gré, chacun se prêtait à l'exercice avec une certaine appréhension, mais également une certaine excitation.
Ainsi, les voix m'étaient données comme un cadeau tant les moments étaient émouvants et particuliers pour chacun d'entre eux.
Une fois l'exercice achevé, je savais qu'en dépit de ce que j'entendais, mon appréciation devait être positive et encourageante. Aussi je remerciais et complimentais le chanteur ou la chanteuse en ajoutant "toi, tu es ténor ou soprane, alto ou baryton". Et selon cette identification parfois très approximative je leur demandais de rejoindre tel ou tel groupe de voix, dessinnant ce qui deviendra les pupîtres.
Je sentais combien cette "identification" était vécue comme flateuse et valorisante.
Etant avant tout un lieu d'épanouissement et de plaisir, je décidais que nul ne pouvait en être exclu pour des raisons vocales, même ceux ou celles qui, comme Christiane, ne pouvait émettre de son. En effet, m'étonnant auprès de l'animatrice chargée d'accompagner le groupe, quelle ne fût pas ma surprise d'apprendre que Christiane exprimait avant chacune des répétitions le grand plaisir qu'elle avait d'y participer.
Alors que je leur indiquais la place qui était la leur au sein de leur pupître, mettant à profit, parfois, le bénéfice d'interaction positive entre les inidividus, se constituait peu à peu la chorale pour laquelle, je leur proposais de décider d'un nom.
Ainsi, la chorale existait, chacun y avait sa place et nul n'en étais exclu.
Le répertoire trié sur le volet...pour le plaisir.
J'expliquais qu'une chorale n'existe que pour chanter aux autres leur répertoire. Nous commencions donc par créer un répertoire constitué d'un programme de chants pour, un jour, le chanter devant un public.
Etant une chorale comme toutes les chorales du monde, notre objectif serait le même. Il nous fallait donc choisir les chants que nous allions mettre à notre répertoire.
Il fallait pour cela, tenir compte des difficultés du groupe: corps empéché, mémoire fragile, prononciation compromise, énergie défaillante, difficultés motrices, respiration contrainte, vision altérée.... Je décidais d'aller vers des chants déjà plus ou moins connus pour accèder au résultat positif du plaisir de chanter ensemble.
Car, il m'apparaissais que le principal moteur était Le plaisir.
Après plusieurs propositions venant du groupe et ayant testé dicrètement la connaissance des mélodies et des textes retenues, je leur proposais: La maladie d'amour de Michel Sardou, Tous les garçons et les filles de Françoise Hardy, Le Pénitencie de Johnny Halliday et l'eau vive de Guy Béart auquel je proposais d'ajouter Jolie bouteille de Greame Allwright.
Je cherchais la simplicité en terme de tessiture, de mélodie, de rythme, de texte à mémoriser et à prononcer, car je souhaitais que la dynamique du groupe nourrie du plaisir de chanter ensemble constitue rapidement "Le groupe". Constatant qu'au delà de 15 à 20 minutes de chant, l'énergie et le souffle des choristes s'affaiblissaient et que la qualité des chants en souffrait, je voulais maintenir le plus possible une qualité vocale, évidemment altérée par les problématiques liées aux handicaps.
En effet, il nous fallait tenir compte de cette spécificité du groupe qui nous invitaient à travailler davantage la mémoire, la prononciation, la justesse, l'articulation, le souffle, l'écoute de l'autre, le "chanter ensemble".
Si, bien entendu, comme pour toutes les chorales du monde, chaque répétition commençait par des vocalises d'échauffement, il nous fallait davantage travailler ces points importants avec des voix et des corps, empêchés, perturbés par le handicap.
Mais dès le début, la règle était annoncée. Certe nous sommes handicapés, disais-je, mais comme toutes les chorales du monde, nous allons travailler pour donner le meilleur de nous-mêmes.
1ères exigences à travailler La Posture, Le Souffle, La Colonne d'air.
Nous étions cette fois, réunis pour la 1ère répétition de ce qui est devenue la chorale du foyer. L'objectif était donc de travailler un répertoire pour le présenter en concert, sur scène devant un public.
Les choristes disposés devant moi en pupître avec beaucoup de sérieux, j'expliquais l'importance de la posture et celle de la respiration, du souffle afin de mettre sa voix dans les meilleures conditions pour chanter.
Après avoir expliqué succintement la notion de "colonne d'air", je leur demandais de se redresser. Cette "exigence" prenait un sens particulier pour des personnes dont le corps et la psyché sous l'influence de médicaments et d'un vécu lourd, se laissaient aller amollis sur eux-même, le plus souvent, à cause du handicap ou de la maladie. Leur préoccupation n'était donc pas de se tenir droit, de tenir leur ceinture abdominale et de laisser tomber les épaules, ce que je leur demandais de faire.
Aussi, nous prenions le temps de nous redresser, de poser les pieds sur le sol, de nous tenir droit, les épaules relâchées, de retenir le ventre et de respirer, doucement et profondément. Nous prenions le temps de faire ces exercicez le mieux possible pour que chacun puisse se concentrer autant que possible vers le meilleur de ce qu'il peut donner et réaliser. Il nous fallait, en effet, du temps pour prendre en compte la pesanteur que le handicap laisse aux corps et au mental pour atteindre parfois l'innaccessible, le but n'étant pas de l'atteindre mais d'aller vers....
Les 2 ou 3 premières répétitions prenaient beaucoup de temps préalable au chant. Un véritable temps "dynamique" chargé d'énergie positive tant pour le corps que pour le mental. Et chaque fois chacun des choristes s'investissait dans l'effort à fournir, pris dans une volonté collective, riche et prometteuse.
Une fois notre rythme de croisière adopté, nous consacrions 10 minutes à cette préparation saine et énergisante avant de travailler notre répertoire.
Fin juin, le 1er concert en public.
Nous sommes au début du mois de juin et nous nous préparons à vivre notre 1er concert prévu fin juin au sein du foyer.
En effet la chorale est devenue un événement dans l'institution. Plusieurs résidents du foyer sont venus grossir ses rangs. Elle faisait parler d'elle et nourrissait les commentaires et la curiosité au sein des résidents mais également au sein du personnel. Régulièrement nous avions la visite discrète de membres du personnels éducatifs, administratifs, de l'entretien ou des cuisines, curieux de voir ce qui s'y passait.
Le concert prévu était un véritable événement dans l'institution et les familles étaient largement conviés au 1er concert de la chorale.
Pour cela, la salle de restaurant avait été réquisitionnée et une scène avait été aménagée et décorée devant des rangs de chaises qui attendaient le public.
L'importance que prenait l'événement fût l'occasion de travailler l'image de soi et du groupe en affirmant que, comme toutes chorales du monde nous devions travailler notre présentation. Nous décidions ensemble d'un costume de scène, nous serions tous habillés d'une chemise blanche, d'un pantalon ou d'une jupe foncée (noire, marron ou bleu). Ainsi, chacun s'affairait de son côté pour respecter cette règle commune avec le soutien des encadrants ou des familles si cela était nécessaire. Par ailleurs, nous décidions de travailler les entrées sur scène ainsi que les saluts en fin de concert et les sorties de scènes dans l'ordre et de façon ordonnée.
Tout ce qui pouvait valorier chacun des chanteurs devait être fait.
L'effervescence liée au projet de concert était déjà une formidable récompense pour les choristes.
Le jour venu, le concert se déroula parfaitement. Le public nombreux, remplissait la salle pleine à craquer. Constitué du personnel de l'institution et des familles, ils applaudissaient "à tout rompre" les choristes qui méritaient bien la reconnaissance de leur investissement.
Chanter en public met en jeux plusieurs dimensions de la personne. Celles-ci touchent à l'intime de l'être où se jouent des questions fondamentales telles que le regard de l'autre, l'estime de soi, la relation avec le chef de choeur faite d'autorité, d'affection et de reconnaissance mutuelle, les interrelations avec les autres choristes comme on peut les trouver dans n'importe quel corps groupal, avec ses problématiques liées à l'affectif et au pouvoir.
Il ne s'agit pas de tomber dans une théorisation excessive de ces sujets car tel n'est pas notre rôle. Un chef de choeur ne peut et ne doit pas remplacer le professionnel médico-social ou médico-éducatif.
Il peut cependant être important de pouvoir identifier et interpréter des comportements relevant de ces problématiques et qui viendraient empêcher la personne de trouver sa place et d'être en harmonie avec les autres choristes, le but étant qu'elle profite pleinement du plaisir de chanter et des bienfaits de l'activité chorale.
J'apprends alors que le chef de choeur Handivoix n'est pas là pour servir une ambition artistique uniquement et parfois personnelle. Mais il doit donner la priorité à l'épanouissement de la personne en situation de handicap et l'accompagner vers le meilleur d'elle-même au travers du chant choral, quelle que soit la nature de son handicap et sa capacité à chanter.
Création d'Handivoix...L'idée du réseau de chorales...
Après ce concert plein de promesses, nous nous quittions pour les vacances d'été en nous promettant de nous revoir à la rentrée de septembre pour de nouveaux défis heureux.
Fort de cette riche expérience, je décidais de travailler au développement de l'activité chorale au sein d'autres structures médico-sociales. Habitant, alors, au carrefour des régions Ile de France, Centre et Haute Normandie, je décidais d'adresser aux foyers, résidences spécialisées et autres structures d'accueil une plaquette d'informations sur le sujet en leur proposant de créer une chorale en leur sein.
Ainsi, se mettait en place en 2000, un réseau de chorales sur Paris, en Eure et Loire, Les Yvelines, l'Eure et la Seine Maritime (Le Havre).
Alors que le planning de répétitions étant bien chargé, il fallait formaliser l'activité dans un cadre juridique lui permettant d'exister. C'est ainsi que l'idée d'une association au sein de laquelle les choses allaient pouvoir se structurer et s'administrer prenait forme. Avec quelques amis constituant le 1er conseil d'administration, nous décidions de nommer l'association HANDIVOIX.
L'activité devenait une prestation aux établissements sur la base d'une convention proposant un cadre de fonctionnement de la chorale: horaires, lieu, facturation...et obligations de chacun des signataires, rien de plus classiques dans ce type d'activités ou de services.
Je ne savais pas, alors, qu'Handivoix était promise à un avenir aussi radieux, alors qu'au fur et à mesure que les choses avançaient, je constatais que je ne faisais que suivre les événements qui se présentaient à moi, comme si j'étais simplement l'instrument d"une histoire qui s'écrivait sous mes yeux.
